On ne traite pas un migrants comme on traite un touriste…

Il sera bientôt nécessaire de suivre un stage avant de demander un visa ! Alors que la "liberté de circulation" reste un des principes fondamentaux de toute démocratie – c'est même l'objet de l'Article 13 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme que nos dirigeants brandissent à la face du monde barbare qui nous entoure –, il n'a jamais été aussi difficile de passer une frontière. Et pourtant, ceux qui imposent toujours plus de restrictions sont ceux qui se félicitent de la croissance des arrivées sur leur territoire. Pour obtenir un visa français, un étranger devra en faire la demande en ligne, auprès de France Visa, puis déposer son dossier chez TLS-Contact, sas incontournable avec le consulat qui restera inaccessible au candidat.

Au Viêt-nam, le consulat de France à Saïgon – de l'aveu même du consul général, Emmanuelle Pavillon-Grosser – examine "chaque semaine 1.500 demandes", soit 78.000 sur l'année. À supposer que l'ambassade à Hanoï traite autant de demande, la France voit passer 156.000 passeports vietnamiens. 

À supposer que le nombre de visiteurs vietnamiens dans l'hexagone ait retrouvé son niveau des années pré-Covid, soit 80-85.000 personnes (ce qui n'est certainement pas le cas compte tenu de la chute des sorties du territoire : moins de 100.000 en 2022), la France rejetterait donc 73.000 demandes de visa (près de 47%) !

En effet, selon Atout France – l'Agence gouvernementale chargée du développement du tourisme de la France – 83.000 Vietnamiens ont visité l'hexagone en 2018 (10% des Vietnamiens qui voyagent chaque année hors de leurs frontières (plus de 800.000), en augmentation de 60% par rapport à 2018 selon les confidences à La Voix du Vietnam de Bertrand Lortholary, l'ambassadeur de France de l'époque ; ils étaient même 54.000 selon Nguyên Thiep, l'ambassadeur du Viêt-nam en France.

Fort heureusement, l'intermède Covid a permis à nos fonctionnaires de souffler un peu et à notre ambassadeur, Nicolas Warnery (le successeur de Bertrand Lortholary), de s'atteler à la rédaction de deux romans ! 

La politique migratoire de la France modifie de facto le rôle des consulats de la République. Certes, l'aide aux compatriotes en difficulté n'entre pas dans l'ordre de leurs priorités (outre la rédaction de roman, il faut aussi immortaliser les couchers de soleil). Même la "délivrance des visas" ne correspond plus exactement à la mission des consulats, tant il semble s'agir pour eux de rejeter un maximum de demandes

Ah mais les Vietnamiens qui viennent en France ne sont pas des "touristes" ? Ce sont des gueux, des manants, des migrants qui cherchent à manger le banh mi des Français (et à collecter des allocs). Tout s'explique.

Manifestement, le Viêt-nam est (beaucoup) plus ouvert. Présentant ses chiffres, le 31 janvier 2018 à l'occasion d'un pince-fesses parisien, la compagnie Vietnam Airlines annonçait que, en 2017, le Viêt-nam avait accueilli 255.000 français (+106% en glissement annuel) [Source TourMag, 4 février 2018]. Beaucoup se sont interrogés sur les raisons pour lesquelles le Viêt-nam n'avait pas rétabli le visa de trois mois, en mars 2022. Tout simplement pour contrer l'immigration clandestine : tous ces Occidentaux qui viennent manger le pain des Vietnamiens en dispensant des cours de langues et travaillant au black

Encouragés par le resserrement des échanges régionaux et humiliés par le traitement que leur réservent les Occidentaux en général et les Européens en particulier pour ne pas dire les Français, les touristes vietnamiens ont découvert d'autres destinations que l'ancienne puissance coloniale. Rien que pour le premier trimestre 2023, la Korea Tourism Organization a enregistré l'arrivée de 85.378 vietnamiens, une croissance de près de 600% par rapport à la même période 2022 ! Mieux : depuis la réouverture des frontières, les Vietnamiens en Corée sont devenus les touristes les plus prompts à faire chauffer leurs cartes de paiement : la BC Card (équivalent du Groupement carte bleue) évalue à 197.000 KRW (135 €), devant les Japonais, les Chinois, les Taiwanais et les Américains (76 € par personne, les pingres) [Source : The Korea Economic Daily, 3 mai 2023).

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Votre calendrier 2025 sous le signe du Mekong

Le guide du roublard : le livre qui tient la route

1974-2024. L'Amour au temps des œillets rouges