Mariage mixte et pureté de la race

Je ne sais pas comment ça se passait au XIXe siècle, encore moins au XVIIIe et même avant, mais je me souviens de la facilité avec laquelle j'avais pris Teresa pour épouse dans le XXe mourant (pas l'arrondissement). Une cérémonie avait été organisée à Sevran, en banlieue parisienne, le 28 octobre 1988. Il pleuvait. Une collation avait suivi chez Uber-East, alis le Schroumpf Führer, puis un dîner au restaurant Indonesia, rue de Vaugirard à Paris. Lorsqu'il ne resta plus de chénas, que j'avais ramené de chez Bossetti, rue des Archives, nous étions rentrés rue de la Grange-aux-Belles. La pluie avait fini par s'arrêter.

Les formalités ? Elles n'ont dû nous prendre plus d'une journée : certificat de célibat et certificat de coutume (la mariée était originaire des Philippines, en situation irrégulière dois-je le préciser). What else? En nous libérant, l'officier de l'état-civil, accompagné d'un large sourire, nous avait remis un livret de famille sur lequel nos noms avaient été calligraphiés à la plume en lettres gothiques. Ne restait plus qu'à forniquer pour remplir les pages suivantes consacrées à la progéniture que l’État nous incitait à lui offrir pour payer nos retraites.

Fort de cette expérience, et pour éviter d'avoir à demander l'autorisation de nous marier à Monsieur l'ambassadeur de France – ce qui aurait nécessité une lettre de motivation, un plan de carrière conjugale avec photos à l'appui – et nous soumettre à l'expertise psychiatrique exigée par l'administration vietnamienne pour donner sa bénédiction à notre union, Tiên et moi avons souhaité nous épouser en France. 

Près de trente-cinq années se sont écoulées depuis 1988 et nous n'étions plus dans les années quatre-vingts ni même dans le XXe siècle. Le pouvoir avait enfin pris conscience des dangers que la mixité, le métissage, font peser sur la race et sa pureté. Jacques Lacan n'avait donc pas tort lorsqu'il disait : "Hitler était un précurseur." [1] La destruction des liens sociaux ou les obstacles à leur création ont toujours constitué le meilleurs moyen de gouverner. Au XVIIe siècle, les Espagnols l'avaient bien compris qui refusèrent d'appliquer aux Philippines la loi instituant l'enseignement en langue castillane, décrétée par Madrid. La langue était un facteur d'unification bien trop dangereux. Elle pouvait être aussi un liant puissant, entre la colonie et la puissance coloniale, comme le comprirent  les Américains, toujours aux Philippines  – ou les Français et les Anglais, en Afrique.

Le capitalisme a eu raison de la famille, pièce maitresse de la société, puis de son noyau moléculaire : le couple ; au libéralisme d'avoir raison de ce qui pourrait enraciner une nouvelle société : le couple mixte. C'est un certain Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur qui va s'y attaquer nous raconte Mustapha Arzoune [2]. La loi qui porte son nom (2006-911), promulguée le 24 juillet 2006, "relative à l'immigration et à l'intégration", va durcir les conditions d'entrée en multipliant "les exigences, les contraintes et les contrôles sur des unions soupçonnées d'être de complaisance" écrit Arzoune. 

Le Gisti voit dans la loi Sarkozy de 2006 : "Un ensemble de mesures qui instaure légalement l’étranger jetable : réduit à l’éventuelle utilité de la force de travail qu’il représente, violant voire niant les droits à valeur constitutionnelle attachés à sa personne." ICI

Nicolas Sarkozy restera dans l'histoire comme l'homme politique qui aura substitué la suspicion de culpabilité à la présomption d'innocence que – comble du paradoxe – il réclame pour lui a corps et à cri après sa mise en examen pour une série de délits présumés. Nicolas Sarkozy est un adepte de la "tolérance zéro", un concept importé de New York, qui peut se traduire en français par "intolérance". Cela ne date pas d'octobre 2005, lorsque, après trois jours d'émeutes consécutifs à la mort de deux adolescents pourchassés par la police à Clichy-sous-Bois, il avait prôné cette "tolérance zéro" (Le Monde, 31 octobre 2005). La "tolérance zéro" revient chez lui comme un leitmotiv : en 2016, il l'a réclamait encore contre le "terroriste islamiste" (Le Figaro, 27 juillet 2016). La "tolérance zéro", Nicolas Sarkozy s'en est fait l'avocat dès le début des années 2000, comme le relèvent Jacques de Maillard et Tanguy Legoff : 

"Dans un passage de son livre Libre, publié en 2001, il vante les résultats obtenus à New York : « D’autres démocraties que la nôtre, confrontées aux mêmes problèmes, ont obtenu des résultats. L’exemple new-yorkais est le plus connu. Il a même fini par être banalisé. Qui aurait pu imaginer il y a seulement dix années que le métro de New York deviendrait l’un des plus sûrs au monde ? »" [3]

Nicolas Sarkozy a finalement amorcé le virage vers le néo-fascisme dont parlait Deleuze dans les années 70, et que cultive Emmanuel Macron avec délectation depuis son élection en 2017. Dès 2018 d'ailleurs, la loi du 10 septembre (Loi 2018-778) venait renforcer l'arsenal législatif : "Pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie (ce texte) a notamment eu pour objectif de lutter en amont contre les reconnaissances frauduleuses de paternité ou de maternité avant même qu'un acte de reconnaissance ne soit établi."

La famille, le couple, l'enfant. La France s'est dotée de toutes les armes juridiques pour contrer l'invasion des barbares, décourager les hommes et les femmes qui souhaiteraient s'affranchir des différences. Et elle ne s'en prive pas, comme on a pu le voir récemment encore, pendant le confinement du pays, où la Direction général des étrangers en France (DGEF) n'a pas hésité à modifier les règles d'attribution des laissez-passer aux couples mixtes afin de limiter le nombre de leurs retrouvailles sur le sol français.

Ne leur en déplaise, cette politique ne parvient pas à endiguer le processus naturel de la mixité et du métissage. Si la loi Sarkozy a eu un effet à court-terme, le nombre des unions mixtes a, très vite, retrouvé son niveau d'avant 2006, comme le relèvent les enquêtes de l'Institut national d'études démographiques (Ined).


[1] À défaut de trouver la référence originale de cette citation, on l'a trouvera dans le texte de Mehdi Beladj Kacem et Marian Dapsance : 3Du Délire transhumaniste" ICI ou chez Jean Louis Comolli : "La Guerre des images selon Daech" ICI ou dans les colonnes de Philosophie Magazine (N° 47, février 2011) Cédric Lagandré : "Le pouvoir s'exerce de manière anonyme" ICI.

[2] Mustapha Arzoune : "Qu'est-ce qu'un couple ou un mariage mixte ?" Musée de l'histoire de l'immigration (2022) ICI.

[3] Jacques de Maillard et Tanguy Legoff : "La Tolérance zéro en France. Succès d'un slogan, illusion d'un transfert". Revue Française de Science Politique 2009/4 Vol. 59. ICI

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