L'Europe prise au piège américain en Ukraine

Et si la Russie n'était pas l'objectif principal des États-Unis dans la guerre qui se déroule depuis deux ans en Ukraine ? Lorsqu'ils ne s'adonnent pas à leurs travaux littéraires où photographient les plages désertes au couchant, les bouffeurs de Ferrero-Rocher doivent bien envoyer quelques notes à nos Macron, Von der Leyen et consorts ! Tout le monde a donc conscience d'une chose très simple : qu'ils aiment Poutine ou qu'ils le détestent… jamais les Chinois ne prendront le risque de laisser un régime allié aux États-Unis s'installer à leur frontière. 

Tous les régimes qui se sont succédés depuis la nuit des temps, de Nanjing à Beijing, en passant par Luyong et Chang'an n'ont eu de cesse d'entretenir si ce n'est consolider un système de défense au nord de l'empire – sur la frontière sino-russe précisément – dont une légende tenace prétend qu'elle serait visible depuis la Lune – ce qui est bien évidemment faux : une muraille de plus de 20.000 kilomètres dont la construction a commencé bien avant le règne de Qin Shin Huang (IIIe siècle avant J.-C.).  

Le flanc nord de la Chine est son véritable point faible. À l'est sa frontière plonge dans la mer ; au sud-est, elle se heurte à la barrière de l'Himalaya ; au nord-ouest, elle se perd dans les sables du Taklamakan. Comme si cela ne suffisait pas, le pouvoir chinois est intransigeant sur la nature des régimes à ses frontières ; s'ils ne sont vassaux, il se doivent d'être au moins "amis". 

Contrairement à une idée reçue, les Chinois n'ont pas attendu l'arrivée des communistes au pouvoir (1949) pour prendre le contrôle du Xinjiang (ex-le Turkestan oriental). Les Mandchous avaient conquis la région au XVIIIe siècle (1759) ; les Russes et les Chinois s'étaient mis d'accord sur l'avenir de cette région un siècle plus tard par le Traité de Lli (plus connu sous le nom de Traité de Saint-Pétersbourg, 1881).

Profitant du chaos qui régnaient en Chine (guerre civile entre nationalistes et communistes) les Soviétiques tentèrent de reprendre pied dans la région en soutenant la sédition organisée, en 1944, par Sheng Shicai mais, dès leur arrivée au pouvoir (1949), les troupes de Mao les renvoyèrent dans leur taïga et remirent la main sur le Xinjiang avec la participation active des musulmans du coin.[1]

Au nord-est de son territoire, la Chine n'a pas hésité non plus à réagir lorsque les troupes de Kim Il-sung – le grand-leader-génial de Pyongyang – se firent repousser par celles de Mac Arthur, trois mois après l'offensive des nordistes appuyées par Moscou pour réunifier la péninsule coréenne (juin 1950). Fin 1950, la Chine aligna pas moins de trois millions d'hommes face aux bataillons de la coalition internationale qui, réunis, représentaient moins de 350.000 hommes.

Peu importe ce que les dirigeants de Beijing pensent de Kim Jung-un, troisième de la dynastie Kim : on ne touche pas à la Corée du Nord. D'ailleurs, en y regardant de façon objective : personne n'a intérêt ni ne souhaite "toucher" à la Corée du Nord. Elle justifie la présence militaire américaine dans la région et même Séoul trouve au nord de sa frontière une main d'œuvre docile et sous-payée pour faire tourner une partie de ses conglomérats.

Au sud-ouest, l'affaire est bétonnée par une série de traités dont le plus ancien remonte au IXe siècle. À la fin du XVIIIe siècle, lorsque le Népal envahit le Tibet (1788-1789), Jamphel Jiatso, 8e Dalaï Lama appella la Chine à la rescousse. Dans la foulée de cette opération, Lhassa et Nanjing signèrent un accord de défense… celui-là même auquel l'actuel Dalaï Lama se référa dans les années cinquante pour rétablir son autorité contestée par les armes sur le plateau.[2]

Si l'on n'ignore pas cette histoire, l'hypothèse selon laquelle une Russie alliée de la Chine pourrait s'effondrer et laisser la place à un régime pro-américain est non seulement totalement absurde, mais relève du degré zéro de l'analyse géostratégique (et encore : "Zéro c'est bien payé", comme disait l'un de mes profs). Les "intérêts supérieurs" de la Chine et de la Russie les condamnent à ne pas être ennemis – comme ceux de la France et de l'Allemagne.

Les Américains, sûrement technologiquement à la pointe, pourraient-ils avoir raison et de la Russie et de la Chine… et peut-être de l'Inde ? Bien évidemment, les américains (1,5 millions de bidasses) sont largement inférieurs en nombre (la Chine compte 2 millions de soldats actifs et la Russie plus de 1,1 million), mais à la guéguerre nucléaire, Washington et ses 3.700 ogives est un peu short face aux 6.000 têtes russes.

Le risque d'une guerre nucléaire est quasi-nul. Pour l'instant, si risque il y a – et il y a – ce n'est pas d'un embrasement planétaire, mais plutôt d'un enlisement de la région dans laquelle le conflit se déroule : l'Europe et, par voie de conséquence, son affaiblissement qui, depuis la création de l'Union européenne, a toujours été l'objectif des États-Unis. Et pourtant, cela n'empêche pas nos youth leaders, de Macron à Ruffin (interview dans Le Monde daté du 17 mars), de réclamer à l'unisson un renforcement des capacités militaires de l'Ukraine qui doit se sentir bien seule face à la puissance russo-chinoise.


[1] Sur cette histoire, on lira avec intérêt l'article d'Hélène Carrère-d'Encausse : "Le Turkestan entre l'URSSS et la Chine, Depuis dix ans Pékin revendique cette région en vertu de droits historiques" (Le Monde Diplomatique, janvier 1966).
[2] Michel Peissel rapporte ce pan de l'histoire du Tibet dans son excellent Un Barbare au Tibet (Seuil, 1998).

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