La Sécu articulation de "la société de contrôle"
Certains le déplorent, d'autres y voient le signe d'un humanisme qui, depuis 1789, caractérise la France : toute personne résidant sur le sol français de façon "stable et régulière" a droit à la prise en charge de ses frais de santé.
La protection universelle est un acquis que personne ne peut contester sauf à apporter la preuve que son prétendant ne réside pas de manière "stable et régulière" sur le sol français. Un déplacement temporaire ne saurait constituer une rupture dans cette stabilité ou cette régularité, sauf à supprimer l'idée même de vacances et de mobilité. Madame N. l'a appris à ses dépens.
Madame N., d'origine vietnamienne, vit en France depuis fin 2020 avec son compagnon (Français) et leurs deux enfants (Français). L'expatriation n'est pas facile à vivre tous les jours, mais Madame N. place la famille au-dessus de tout. Comme tout individu, sa famille "du moment" ne lui fait pas oublier celle d'où elle vient et plus particulièrement cette grand-mère dont elle se sent si proche et qui se meure à l'autre bout du monde.
Quatrième génération…
L'ancêtre a passé les 90 ans, elle ne s'alimente quasiment plus et attend la mort, allongée. Si Madame N. veut la voir une dernière fois vivante, c'est maintenant. Madame N. n'a pas l'autorisation de travailler en France, rien ne l'empêche de partir ; les enfants sont encore petits : le plus jeune est en maternelle, le plus âgé en primaire, manquer l'école même quelques mois ne les handicapera pas ! Rien ne s'oppose à un congé sabbatique. Et c'est parti. Le couple signale à l'administration l'adresse à laquelle il reste joignable pendant son absence – car il ne s'agit bien évidemment pas d'une expatriation – et s'envole vers l'Asie, fin 2022.
Les choses se compliquent six mois plus tard lorsque Madame N. se rend au consulat de France à Saïgon (24 avril 2023) : l'immigration vietnamienne demande une authentification du passeport de son compagnon alité depuis un mois, à qui les médecins viennent de diagnostiquer… la typhoïde. Quatre jours plus tard (28 avril), la Cpam de l'Hérault adresse à Madame N. un courrier dont elle a
le tort de ne pas prendre connaissance. Elle a fort affaire avec son compagnon, la Sécu peut attendre son retour. Et puis, qui imaginerait un lien entre son passage au consulat et la lettre de la Cpam ? Il s'agit bien sûr d'une pure coïncidence. L'administration française n'a pas la réputation de réagir aussi vite.
L'affaire se corse sérieusement lorsque Monsieur reprend un peu le dessus et que le couple décide de rentrer. Madame a besoin d'un visa et, pour l'obtenir, justifier d'un motif. Pour les vigiles chargés de délivrer les visas d'entrée sur le sol français, sa qualité de "parent d'enfant français" ne suffit pas. Non seulement ces gens n'ont aucune connaissance du milieu dans lequel ils sont projetés, mais ils n'ont aucune culture. Depuis sa première demande, en 2020 en pleine pandémie, les services diplomatiques français au Viêt-nam ne veulent rien entendre et, depuis trois ans, n'en démordent pas : ce couple leur a tout l'air d'entretenir une relation fictive ; l'enfant qu'ils ont en commun relève au mieux de l'accident, peut-être d'un trafic comme François Courant, au Quai d'Orsay, en a émis le soupçon [1]. Ils en veulent pour preuve qu'en dépit de ses déclarations à l'automne 2020, Monsieur n'a toujours pas adopté l'enfant de Madame. L'administration coloniale conserve des dossiers à jour, comme le lui rappellera Florent Carminati, sous-officier de l'état-civil (28 juin 2023)… et tout ce que vous dites pourra être retenu contre vous. Achtung ! Impossible de confondre un consulat avec l'Office du tourisme ; le consulat n'est pas là pour ouvrir la porte, plutôt pour la fermer, vous faire comprendre qu'en France (en tout cas dans une certaine France, la leur)… on n'aime pas les étrangers. Là au moins, il n'y a pas d'ambiguïté sur le message.
Pendant quatre mois, l'attention de Madame et Monsieur va se concentrer dans le bras de fer pour l'obtention d'un visa qui sera finalement accordé, après que Madame ait été contrainte de signer des "attestations sur l'honneur" (il semble y en avoir au moins deux) dans lesquelles elle reconnait être "rentrée" au Viêt-nam ! En conséquence, le visa sera assorti de multiples restrictions : non-transformable, non-renouvelable ; il interdit à Madame de travailler, la prive de toute aide et l'oblige à quitter le territoire français (en abandonnant ses enfants ?) au terme des douze mois de sa validité. Mais c'est une autre histoire.
Pendant ces quatre mois cependant – et c'est toujours pure coïncidence – l'état administratif va se resserrer autour de nos potentiels fraudeurs et plus particulièrement de la couverture médicale de Madame : le 4 août, le consulat de France à Saïgon reconnait que le fils de Madame N. est bien l'enfant de Monsieur, mais trois jours plus tard (7 août), les droits de la mère à la Sécurité sociale sont fermés ; le 23 août, dix jours après lui avoir refusé un visa au titre de "Parent d'enfant français", sa carte Vitale est invalidée ! Lorsqu'en septembre, Madame N. finit par atterrir aux pays des Droits de l'Homme, elle n'en a aucun.
Pour Monsieur, il ne fait aucun doute qu'il sera très facile de mettre un terme à l'acharnement dont sa compagne est victime de la part de l'administration coloniale. Face à la difficulté de rouvrir les droits à la Sécurité sociale de Madame, Monsieur se tourne vers Philippe Trotabas, le directeur de la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault dont ils dépendent, lequel affirme dans un courriel (22 septembre) avoir "personnellement vérifié [qu'un] rendez vous puisse se réaliser et soit conclusif". Le 26 septembre, à Béziers, Madame N. et son compagnon sont reçus par Sylvie D., une femme charmante. Sa mission : simplifier les relations entre les assurés et la caisse. Elle va s'occuper du cas de Madame N. Il suffit juste de lui fournir un titre de séjour et une attestation de domicile ; ce qui sera fait dès le lendemain. Avant de se séparer pourtant, et puisque la carte Vitale de Madame n'est plus utilisable, vous ne verrez pas d'inconvénient à me la remettre. Et de pousser un immense ouf de soulagement en voyant que le couple obtempère sans résistance.
Madame N. n'entendra plus jamais parler de Sylvie D. Fallait-il entendre le "conclusif" de Monsieur Trotabas comme synonyme de "clap de fin" une fois la précieuse carte verte récupérée ? Monsieur va donc, une fois de plus, se tourner vers le grand patron qui, cette fois, sort la carte Sophie Boudet, médiatrice de la caisse.
Après étude minutieuse du dossier, Madame Boudet transmet son verdict à Monsieur, le 18 octobre : peu importe que Madame N. soit établie en France de façon "stable et régulière", son visa "visiteur" ne fait pas d'elle une "résidente" qui lui ouvrirait droit à la protection médicale universelle. Tout est dans la nuance. Madame Boudet s'étonne d'ailleurs – comme l'avait fait la police des frontières à l'arrivée de Madame N. à Roissy-Charles-De-Gaulle –, que la maman de deux enfants de nationalité française n'ait pas de visa correspondant à son statut. Que ce statut lui soit contesté, voire refusé, allume immédiatement la suspicion d'une fraude. Madame Boudet va d'ailleurs tenter de clarifier la question en s'adressant directement au consulat à Saïgon ; Madame Emmanuelle Pavillon-Grosser – sorte de proconsul de France en Indochine – n'a pas estimé nécessaire de lui répondre : elle a "1.500 demandes de visa" à traiter par semaine, elle n'a pas le temps de répondre à des questions présentant si peu d'intérêt. Manifestement, le consulat est même déterminé à mettre tous les bâtons qu'il peut dans les roues de Monsieur, s'il lui prenait l'envie d'obtenir des informations…
Comme nous le verrons, le visa ne suffit pas à justifier le refus de la protection sociale. Ceci dit, pour quelqu'un qui n'a pas été en contact avec le consulat, Madame Boudet semble maîtriser les subtilités des visas. Monsieur sera tout aussi dubitatif, quelques semaines plus tard lorsque, dans le cadre de l'entretien préalable à leur mariage à la mairie de Béziers, il entendra Laurie Gimenez, l'officier de l'état-civil, douter de la légalité de la reconnaissance qu'il a effectuée de l'enfant de sa compagne. Comment Madame Gimenez pouvait-elle évoquer un problème – jamais soulevé à Béziers où la reconnaissance a été enregistrée, six mois plus tôt – sans avoir été en contact avec les seuls qui s'y sont opposés : Madame Pavillon-Grosser et ses gens ?
Pas besoin de lire entre les lignes du message de Sophie Boudet pour comprendre que les malheurs de Madame N. reposent sur une raison moins avouable. Entre novembre 2022 et septembre 2023, écrit la médiatrice de la Cpam de l'Hérault, Madame N. "a fait l'objet d'un contrôle sur sa protection universelle maladie suite à un signalement de la Direction générale des finances publiques". Pour le compagnon de Madame N., jusque-là bien naïf, la blague va désormais trop loin : comment la DGFP pourrait-elle signaler une personne inconnue de ses services ? Madame N. n'étant pas autorisée à travailler en France n'a aucun revenu à déclarer et n'a donc rien déclaré puisqu'elle n'en avait pas l'obligation ! N'étant pas encore mariée à Monsieur, ce dernier ne pouvait pas davantage la faire valoir sur sa déclaration pour bénéficier d'une part supplémentaire. Pour en avoir le cœur net, Monsieur demande à la DGFP de justifier ce signalement et la réponse d'un contrôleur agacé, le 6 juin 2024, ne le surprend pas :
Sachez que la Direction Générale des
Finances Publiques ne "dénonce" pas de contribuable à la CPAM. Nous intervenons
auprès d'organismes tiers dans le cadre du contrôle fiscal uniquement. Votre
épouse n'étant pas connu de nos services, nous n'avons pas pu effectuer un
quelconque signalement à son égard.
Je vous prierais donc de ne plus formuler ce type d'accusation à l'égard
de notre administration.
On ne saurait être plus clair ! Donc si signalement il y a eu – et il y a eu, cela ne fait aucun doute – et s'il ne vient pas de la DGFP… d'où vient-il ? Nous ne ferons pas l'affront au lecteur en lui soufflant une réponse qui semble évidente. En revanche, un mystère demeure, car la réponse du contrôleur du fisc signifie que Monsieur Trotabas et Madame Boudet ont menti. Pourquoi ? Sur ordre de qui ? Monsieur Trotabas a qui la question a été posée le 20 juin à la première heure, n'a pas daigné répondre.
Car rien ne justifiait que Madame N. soit privée d'une couverture médicale pendant près de neuf mois (elle a été rétablie en juin 2024 lorsque le couple a changé de département). Comme nous allons le voir maintenant, la France ouvre les droits à une couverture médicale à toute personne se présentant sur son territoire, dont l'état de santé le requiert. En voici un exemple récent :
En août 2023 – quelques jours donc avant le retour de Madame N. – Madame F arrive en France en provenance des Philippines. Madame F. ne le sait pas, mais elle souffre d'une tumeur au cerveau et sans une intervention rapide, son avenir se compterait en semaines. Accueillie par la femme, elle est dirigée vers le bon hôpital parisien où l'assistante sociale va s'occuper de son dossier de prise en charge. En deux semaines, tout est réglé et Madame F. passe sur la table d'opération. Pendant huit mois, jusqu'à ce qu'elle décide de rentrer mourir dans son pays, elle suivra une chimiothérapie.
Madame F. a vécu en France une vingtaine d'années, sans pour autant parler la langue – et bénéficie d'un titre de séjour de dix ans semble-t-il – mais, au début des années 2000, après le départ en retraite de son mari (allemand, décédé en 2016), elle est retournée s'installer dans son pays. Madame F. n'a jamais travaillé en France, enfin pas vraiment : son couple a tenu un restaurant dans le IXe arrondissement de Paris, au milieu des années 90's et, à titre personnel, elle intervenait dans le placement de personnel de maison (pas sûr que cette activité ait été déclarée).
Les F. sont défavorablement connus des autorités françaises depuis une trentaine d'années. Cela commence le 16 novembre 1988. Ce jour-là, la police de l'air et des frontières intercepte F. 02 (les fichées F. sont au nombre de six) tentant de s'enfuir (j'exagère) alors qu'elle séjourne irrégulièrement sur le territoire français depuis… un certain temps. Six ans plus tard, la plus jeune sœur, F. 01, se recommande d'un journaliste français alors fort en Cour pour obtenir son visa auprès du consulat de France à Manille. Le consul s'étonnera que ledit journaliste ne soit pas intervenu "en personne", mais le bougre n'en savait rien… Trop tard, le visa a été délivré et F. 01 est dans le fruit. Cinq ans plus tard, en 1999, c'est au tour de F. 04 d'apparaitre dans un montage aux relents mafieux.
En deux mots : en 1999, Felip Di Sanza, un italo-new-yorkais, rachète en Dordogne la conserverie Auguste Cyprien, producteur de foie gras ; il en confie (de canards ah ah) la gestion aux Pascolini, un père et son fils défavorablement connus eux aussi des services de police. Personne ne sait d'où vient l'argent du rachat, si ce n'est qu'il a transité par des comptes offshore dans les paradis fiscaux (Luxembourg et Île de Man). En l'espace de dix-huit mois, le capital d'Auguste Cyprien va tripler, abondé par des transferts provenant du même circuit opaque. Puis les fonds de l'entreprise – il est question d'au moins trois millions d'euros – s'évaporent sur un compte écran… aux Philippines ; Auguste Cyprien reste avec un stock de bidoche avariée sur les bras et dépose le bilan [2]. Pour la presse de l'époque, nul doute que l'on se trouve là devant une opération de blanchiment, Auguste Cyprien ayant servi à réintroduire de l'argent sale dans le circuit bancaire traditionnel.
Personne ne sera étonné d'apprendre que le fameux compte philippin a été ouvert par F. 04, à l'époque compagne occasionnelle de Felip Di Sanza, après un mariage blanc (1986 ou 1987) grâce auquel elle a obtenu la nationalité française. F. 04, par ailleurs directrice de Dato Capital (basée sans surprise… au Luxembourg) a probablement réinjecté l'argent extorqué à Auguste Cyprien dans les affaires de sa société PGDI. À l'époque, Pepsi Cola, dont PGDI distribue les boissons dans la vallée de Compostela sur l'île de Minadano, vient de la faire condamner (6 juillet 2000).
Le couple avait rodé le circuit de ces "transferts" financiers vers la France quelques années plus tôt (fin 1989 - début 1990) pour l'achat d'un appartement à Paris, dans le Xe arrondissement, en utilisant le compte de F. 03, autre membre du clan ; bien immobilier revendu assez rapidement. Depuis l'affaire Auguste Cyprien, F. 04 a investi dans des projets financés par la Grameen Bank, en Indonésie où elle est identifiée aux Daughters of St Anne. Alors là, mon père, prenez garde : Satan l'habite, comme dirait Jean-Pierre Mocky !
Si Madame Boudet connait parfaitement le dossier de Madame N. – dont la seule faute a été de vouloir dire adieu à une vieille grand-mère –, comment la Sécurité sociale peut-elle prétendre ignorer d'où sort Madame F. ? La question – ou plutôt le problème – n'est pas que Madame F. ait pu faire soigner sa tumeur au frais de la République, mais que Madame N., parent de deux enfants français, qui résident tous en France où elle s'est finalement mariée avec son compagnon soit spoliée dans son droit.
Monsieur Trotabas semble avoir fait ce qui lui a été demandé, comme le ferait un simple agent. La Cpam apparaît dans cette affaire comme l'exécutant des basses œuvres d'un mystérieux donneur d'ordres pour lequel Monsieur Trotabas accepte de passer pour un menteur.
La Sécurité Sociale présente un avantage extraordinaire pour la mise en place de la société de contrôle promise par le libéralisme : elle est la seule institution aux radars de laquelle personne n'échappe, de sa naissance à sa mort. Sous prétexte de permettre à tous les professionnels de santé d'accéder en un clic au profil sanitaire des assurés, un espace "Mon Profil Santé", sur lequel le patient, principal intéressé, n'a pas la main, stocke des informations qui n'intéressent pas que les professionnels de santé… loin de là : banques, assurances, employeurs… en un mot toutes les composantes du pouvoir y trouvent leur intérêt. La Cpam référence, répertorie… fiche tous les individus [3]. Ce n'est le cas ni de la Caf (13, 5 millions d'allocataires [4]) ni des impôts (39 millions de foyers fiscaux [5]). Tous les observateurs partagent, en des termes sûrement différents, l'analyse d'Albert Scott lorsqu'il écrit sur le site Contrepoints (qui se revendique de tendance Droite libérale) : "L’intervention de l’État dans la santé ne va pas sans une association
au pouvoir des administrateurs de la santé, et donc à un biais du
pouvoir en faveur des intérêts de ces derniers." Madame N. et Madame F. ont, chacune à sa manière, fait l'expérience de ce "crédit social" à la chinoise dont les médias nous rebattent les oreilles depuis la pandémie de Covid et son cortège de mesures liberticides. Le droit réservé aux "bons élèves", comme Madame F. ; les mauvais, dont fait partie Madame N., peuvent crever dans leur coin.
PS. Coïncidence pour coïncidence (une de plus) : cet article a été mis en ligne le 2 juillet à 13h30 ; à 16h25, Monsieur N. recevait un courrier de Monsieur Trotabas… Depuis, Sophie Boudet et Nathalie Foissac se relaient pour étudier dans les moindres détails le profil de Monsieur N. sur les réseaux sociaux. Si ce n'est pas pour leur usage personnel… sur ordre de qui ? Et dans quel but ?
[1] Sur cette lamentable affaire : Les Franquignols (Sipayat, 2021).
[2] Sur les cuisses de canards avariées d'Auguste Cyprien, le lecteur peut se tourner (en particulier) vers : "Le foie gras faisait de la mauvaise graisse" (Sophie Nomi, Libération 5 décembre 2000) ; "La Mauvaise graisse d'Auguste Cyprien" (L'Usine Nouvelle, 18 mai 2000) ; et l'"Enquête sur les scandales alimentaires" (L'Express du 29 mars 2001).
[3] La Caisse nationale d'assurance maladie estime à plus de 72 millions le nombre d'assurés pour une population de 67 millions (Libération, 30 novembre 2021)
[4] Source CAF.
[5] Source Direction générale des finances publiques (DGFP)
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