Non, les cons… ça n'osent pas tout !
Le 31 juillet, nous avons enfin reçu un livret de famille dont la demande remontait au 29 février – cinq mois plus tôt. Pour être franc, nous n'espérions plus trop en voir la couleur. Ce n'est que le troisième… en quatre ans ! Sur le premier, je trônais seul avec Louise dont la mère apparaissait de façon marginale, en tout cas pas sur la page dédiée, face à celle du "Père".
Sur le "machin", comme l'aurait qualifié le général De Gaulle, qui vient de nous être remis, ne figure aucune Marianne ! La République nous tournerait-elle le dos ? À propos de couleur… il est d'une blancheur virginale, comme si l'Administration avait à cœur d’exaucer notre vœu. Ce livret low cost a tout d'un document provisoire : les mentions habituelles "Père" et "Mère" sont purement et simplement absentes ; l'espace qui leur est réservé pourrait très bien, comme sur les documents de l’Éducation nationale, être rempli par la mention : "Parent 1" et "Parent 2"…
La pauvre petite n'est pas au bout de ses peines avec l'état-civil. Je lui souhaite d'arriver à le convaincre de lui attribuer une ville de naissance. Pour l'instant, elle est née à Lam Dong ! Le Lam Dong est au Viêt-nam ce que le Loiret ou la Charente-maritime sont à la France : une province, un département. La prochaine fois qu'un fonctionnaire vous demandera votre lieu de naissance, essayez de lui répondre Haute-Marne ou Bouches-du-Rhône et vous verrez sa tête. Ces approximation étaient sûrement justifiables pendant la période coloniale, mais faut-il rappeler à nos énarchistes que cette période est révolue depuis soixante-dix ans, après que les Vietnamiens leur ont refilé un grand coup de pied au cul, à Dien Bien Phu, en 1954.
Mais Louise l'a échappé belle ! Sur son acte de naissance vietnamien, elle est née à "Hôpital No 2, Lam Dong". Imaginons un instant que nos finots aient su que le Lam Dong était une province et en aient conclu que Hôpital No 2 était la ville ? Au risque de faire passer Michel Audiard pour un menteur, ils furent pris d'un doute et… dans le doute, se sont contenté de transcrire Lam Dong. Depuis Les Tontons flingueurs de Georges Lautner (1963), le con semble avoir muté ! Il n'ose pas tout. Auraient-il mis le nez à leur fenêtre, décroché une minute de leur réseau social favori, qu'ils auraient su qu'au Lam Dong, l'hôpital No 1 se situe dans le chef-lieu (Da-lat), qui correspond à une préfecture, et l'hôpital No 2 à Bao Loc, l'équivalent de la sous-préfecture. Bao Loc n'est pas un village anonyme de montagne, mais une ville de 170.000 habitants, comparable à Toulon ou Saint-Étienne ! Bien plus peuplée que Dijon, Brest ou Grenoble…
Cette lueur d'intelligence n'était pourtant qu'une étincelle car, lorsqu'il s'est agit de transcrire le nom de la maman… là NON. Il faut dire aussi que les Nhà Quê (prononcer Nya-houé ; qui signifie bouseux, ploucs, péquenauds…) ne font aucun effort. Alors, disons-le : les Nhà Quê ne font aucun effort ! Ils ne peuvent pas s'appeler comme tout le monde ? Comme nous ? Nguyên, passe encore comme disait Jacques Chancel dans Le Grand Échiquier, mais Lê… pourquoi ? Nan. C'est bien fait pour sa gueule : désormais la maman de Louise portera en prénom… Lê, le patronyme de sa propre mère ! My Tiên est pourtant si joli, Tiên à lui seul si délicat.
L'humiliation fait partie intégrante du mode opératoire du fonctionnaire, cela lui donne peut-être le sentiment d'appartenir au "microcosme" comme Raymond Barre appelait l'aristocratie républicaine. Jadis, à mon époque, le manant s'adressait aux employés de l’État à travers un hygiaphone volontairement placé si bas qu'il fallait se courber – que dis-je, se plier en deux – pour lui parler, façon on ne peut plus symbolique d'exprimer sa soumission. Soyons honnête, la France n'est pas la seule à employer la technique ; elle se pratique aussi en Chine. L'expérience la plus désopilante qu'il m'est été donnée de vivre reste quand même en Afrique. Ce devait être au Burkina Faso, mais je ne le jurerais pas. Je patientais dans la file du bureau de poste et, quand vint mon tour, je ne m'étais pas encore plié que la matrone éructa un "Attendez" qui me figea sur place dans la position servile. Elle tenait le blanc au bout de son pouvoir, comme les petits blancs tiennent Tiên au bout du leur.
Ce "livret" de famille correspond parfaitement à la mention écrite en rouge à cheval sur les pages parentales : duplicaca
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