SARL : salauds à responsabilité limitée

L'Insolente de Kaboul n'est pas le récit d'une Afghane "lambda", mais celui d'une fille de bonne famille qui – contrairement à l'immense majorité des Afghans – a eu les moyens de fuir pendant l'occupation soviétique de son pays. Celui d'une jeune fille qui a eu les moyens de s'insérer dans son pays d'accueil – la France. Son diplôme de l'ESA (une école de commerce parisienne) Chékéba Hachemi, c'est son nom, s'investit au côté d'Ahmed Chah, alias Massoud, chef des moudjahidines. Elle s'impose vite comme un interlocuteur incontournable des "témoins" ou "curieux" qui ont trouvé dans le drame afghan une raison, si ce n'est un moyen, d'exister. Hormis une brève rencontre poignante avec une femme dans le déni, berçant son enfant mort, le quotidien afghan dont l'ouvrage se veut le témoin, passe par le filtre du regard de ce qu'il faut bien appeler une bourgeoise qui de surcroit, quand bien même elle y serait née, a grandi loin de l'Afghanistan.

Après le décès de la mère, considérant que rien ne la retient plus en France elle estime le temps venu de "rentrer au pays", à côté de ses frères et sœurs, pour  participer à la reconstruction. Nous sommes au début des années 2000. En septembre 2001, le commandant Massoud est exécuté par deux faux journalistes qui se font exploser lors d'une rencontre à Darqad ; deux jours plus tard, Al Qaïda lance une série d'attaques sur le sol américain. Les États-Unis entre en guerre contre Kaboul, chassent les taliban du pouvoir et installe Hamid Karzaï à leur place. La CIA et le M.16, les services de renseignement américain et britannique, injectent alors "des dizaines de millions de dollars" dans la République islamique d'Afghanistan [1]. Tout cet argent aurait-il été nécessaire si Hamid Karzaï avait été le bienvenu ?

C'est à ce moment – nous sommes en 2005 – que Chékéba Hachemi abandonne ses fonctions diplomatiques auprès du Parlement européen et se réinstalle à Kaboul, où ses compétences sont mises à contribution au plus haut niveau. Elle rejoint l'équipe du vice-président Ahmed Zia Massoud, le frère d'Ahmed Chah. Le salaire n'est plus le même, elle passe de plusieurs milliers d'euros à 300 USD / mois ; elle n'est pas là pour s'enrichir, mais pour la cause.

L'expérience ne durera pas. Chékéba Hachemi voit très vite les limites de son action. D'abord, au pays du mollah Omar et d'Abdul Rasul Sayyaf [2], où de surcroit est venu se planquer Oussama Ben Laden, être une femme est un handicap majeur. Dans un pays rongé par la corruption – la CIA et le M.16 l'ont bien compris, qui jettent des barils d'huile sur le feu – la probité en est un autre.Mais nom de Dieu, pourquoi depuis deux siècles, les Occidentaux ne foutent-ils pas la paix aux Afghans ? Comme tous les pays maintenus sous pression : l'Afghanistan est un immense réservoir de richesses naturelles : charbon, pétrole, gaz, or, cuivre, cobalt, pierres précieuses… "Les experts du ministère américain de la Défense à environ 1.000 milliards de dollars US." [3] 

Chékéba Hachemi livre dans ce texte de 2011 un récit sincère de son exil et de son engagement. Cela ne suffit pas à faire de L'Insolente de Kaboul un très bon livre. Il y manque cette mise en perspective, généralement absence de toute critique politique formulée par les acteurs du microcosme : le chaos d'aujourd'hui est l'aboutissement de la politique d'hier. Il est aisé de blâmer les taliban (armés par les États-Unis pour combattre les Soviétiques), qui n'ont fait que se glisser dans un espace laissé vacant par leurs prédécesseurs ! Pour mieux comprendre, osons une comparaison : Robert Ménard doit son élection à la mairie de Béziers, moins à des idées proches de l'extrême-droite qu'à l'incompétence crasse et l'incurie de ses prédécesseurs Raymond Couderc pour ne pas le citer. Les Anglais, les Soviétiques, les Américains sont des salauds, certes, mais en l'espèce : des salauds à responsabilité limitée ! Pour paraphraser Arnaud Montebourg disons que : le plus gros problème de l'Afghanistan, ce sont les Afghans [4]. 

Chékéba Hachemi a jeté l'éponge au bout de deux ans et repris le chemin de Paris. Elle en avait les moyens. Elle dirige aujourd'hui Chékéba Hachemi Consulting.

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[1] New York Times, 29 avril 2013 (ICI) The Guardian, 30 avril 2013 ()
[2] Mohammad Omar, plus connu sous le nom de mollah Omar était le fondateur et le chef des taliban jusqu'à sa mort en 2013. Abdul Rasul Sayyaf, chef de guerre proche des Frères Musulmans, il se rapproche ensuite d'Oussama Ben Laden et d'Al-Qaïda. Partisan d'un islam radical, il est soupçonné d'avoir participé à l'exécution de Massoud. Aux Philippines, les Lost Command du MILF (Front islamique de libération Moro) le predont comme modèle et baptiseront leur organisation Abu Sayyaf.
[3] BBC, 12 février 2023 (ICI)
[4] Le 17 janvier 2007, sur Canal+, Arnaud Montebourg déclarait à propos des ambitions de Ségolène Royal : « Ségolène Royal n'a qu'un seul défaut, c'est son compagnon. »

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