Immigration / Racisme : le péché originel
Le sujet de la rentrée est annoncé depuis des semaines et Emmanuel Macron vient d'y ajouter sa voix en se prononçant, fin août dans Le Point, pour un renforcement de la politique anti-migratoire de la France. Étonnamment, personne ne replace jamais l'immigration dans une perspective historique qui en fait la conséquence d'une entreprise coloniale. Ce n'est rien de dire qu'à la fin des années 50, la France a raté la décolonisation de l'Afrique en ne saisissant pas cette opportunité pour renverser la politique d’asservissement qui fut la sienne aux XIXe et XXe siècle.
L'esprit colonial (dont la France n'a pas le monopole) ne date pourtant pas de cette époque et ne fut pas limité à l'Afrique. Au XVIe siècle déjà, la France tentait de s'implanter en Amérique du nord (Acadie et Canada) et finit par y arriver quelques décennies plus tard. À la fin du XIXe siècle, elle met le cap à l'Est et c'est au tour de la Cochinchine (région sud de la péninsule indochinoise) qui fait les frais de sa politique coloniale.
À la différence de la Chine, dont l'influence repose sur son dynamisme économique, la France – à l'instar des autres nations européennes – a construit son empire sur une domination militaire, pour mieux asseoir son autorité politique et culturelle. La différence entre l'expansionnisme à la chinoise et l'impérialisme à la française tient dans cette stratégie que certains qualifient des trois M, pour Militaires, Missionnaires, Marchands. Avec un tel passé, pas facile aujourd'hui de se reconvertir dans la "coopération".
En cherchant à imposer son point de vue, en se montrant incapable d'établir des relations de partenariat dans ses échanges internationaux, la France s'éclipse peu à peu, d'elle-même, du tableau des acteurs économiques. Dans son dernier bulletin consacré au flux d'investissements directs étrangers (IDE) dans les pays d'Asie du Sud-Est (Asean), la Banque de France se garde bien se s'attarder sur les résultats de la France (1). Alors qu'en 2021, les acteurs internationaux injectaient quelque 175 milliards d'euros dans les pays de la sous-région, le flux français reculait, lui, de 3 milliards d'euros (2). Le stock des investissement français dans l'Asean ne pèse que 23 milliards d'euros sur un total de 3.137 milliards, soit – 0,7%. Pour la sixième puissance économique mondiale! Bercy expliquera sûrement ces résultats en arguant que les investisseurs français ont, avant tous les autres, intégré le changement de nature des échanges internationaux qui, contrairement au discours libéral, privilégient depuis un certain temps déjà la régionalisation à la mondialisation. La part de l'Asie dans le flux d'IDE à destination de l'Asean est, de fait, passé de 19%, dans la décennie des années 1990, à 32,5%, dans celle des années 2010. Dans le même temps, la part des États-Unis passait de 20% à 17%, tandis que celle de l'Union européenne chutait d'un tiers (31% à 21%).
Un mauvais esprit pourrait dire que la délocalisation des outils de production européens (notamment français) en Asie, et plus particulièrement en Chine, dans les années quatre-vingt-dix a offert à l'Empire du milieu les capacités d'investissements nécessaires à la poursuite de son expansion internationale, mis à mal par… les Européens à la fin du XIXe siècle (les fameux "Traités inégaux" restés depuis en travers de la gorge des dirigeants de Pékin).
N'est-ce pas la volonté dominatrice de la France, son incapacité à reconnaître son interlocuteur comme son égal que lui reprochent aujourd'hui les Nigériens, après les Maliens, les Burkinabés et certainement bien d'autres populations africaines condamnées au silence par des pouvoirs fantoches ? Qu'est-ce qui, par exemple, empêchait la France de négocier avec les autorités de Niamey un partenariat dans le secteur de l'énergie, qui aurait permis au premier, de profiter de l'uranium du second pour faire fonctionner ses centrales ; au second de profiter du savoir-faire du premier et lui permettre d'offrir à sa population l'accès à l'électricité qu'elle n'a pas ? Le mot d'ordre martelé par les dirigeants chinois des années quatre-vingt-dix – avec leur accent qui arrachait systématique un sourire niais à leurs interlocuteurs occidentaux – se traduit aisément en français par gagnant-gagnant!
C'est aussi dans l'unique but d'alimenter ses centrales que la France de Giscard et de Mitterrand avait contourné sans scrupule l'embargo décrété par l'ONU sur les importations d'uranium en provenance de Namibie et a, de facto, soutenu le régime barbare de l'apartheid – lequel occupait et exploitait son voisin, que la Société des Nations avait pourtant placé sous son mandat pour le protéger, après la défaite de l'Allemagne en 1918 !
Le regroupement familial décidée par Giscard, pour se racheter une bonne conscience dans la plus pure tradition judéo-chrétienne, n'a pas davantage été une réussite. Pourquoi ? Parce que les enfants nés sur le sol français et de ce fait Français n'ont jamais cessé d'être considérés comme des étrangers. Pour reprendre une formule que le Mouvement contre le racisme (Mrap) utilisait les enfants de l'immigration n'ont jamais été considérés comme des Français à part entière, mais entièrement à part.
Le regroupement familial n'a pas lavé la France de péchés jamais confessés ; il a, au contraire, jeté un peu d'huile sur le feu : ces enfants ostracisés, puis marginalisés avant d'être repoussés dans des banlieues abandonnées, ont perçu comme une véritable humiliation le traitement subit par leurs parents : des hommes traités comme des bêtes corvéables à merci, logés dans des baraquements immondes ou des foyers sordides. Leur colère a muri dans ces ghettos : nourrie d'une part par le rejet dont ils font l'objet et, d'autre part, la poursuite d'une politique néocoloniale sur la terre de leurs ancêtres, au sud de la Méditerranée.
Pour ne pas avoir entendu les revendications des jeunes de la deuxième génération – que le pouvoir socialiste avait pourtant réussi à canaliser dans le mouvement SOS Racisme – la colère à laissé la place à la rancœur, à la génération suivante, puis à la révolte à la quatrième génération, celle d'aujourd'hui.
La France se trouve aujourd'hui dans une impasse inextricable :
• confrontée, à l'intérieur, à une population qu'en refusant de considérer comme sienne, elle invite à s'identifier à une société qui n'est pas la leur, mais celle de leurs ancêtres ;
• confrontée à l'extérieur, à des pays dans lesquels ses ingérences renient l'indépendance qu'elle leur a accordée.
Qu'est-ce que la nouvelle loi sur l'immigration annoncée par le président Macron va-t-elle changer ? Rien. Bien au contraire, elle ne peut que creuser un peu plus le fossé déjà profond qui divise doublement la société française :
• entre les partisans d'une politique humaniste et ceux favorables à une politique sectaire ;
• entre des Français qui se croient de souche et des Français qui cherchent leurs racines.
Comment Gérald Darmanin ou Marine Le Pen peuvent-ils espérer régner au milieu d'une telle division ? Faut-il qu'ils aient oublié que, pour exister, une nation ne peut faire l'économie d'un projet commun. La nation n'est plus – surtout pas la France qui, depuis le XIXe siècle, brasse tous les peuples de la Terre – une entité construite sur une identité ethnique, linguistique ou confessionnelle.
La solution n'est certainement pas dans le renforcement d'un arsenal législatif qui – s'il avait dû être efficace – aurait réglé le problème depuis longtemps. Même Raymond Barre, le Premier ministre de Giscard, l'avait compris : le seul moyen de juguler l'immigration est de construire un monde dans lequel les hommes et les femmes seront heureux de vivre sur la terre qui les a vu naître et où reposent leurs ancêtres. Oui mais voilà : depuis des siècles, l'Occident préfère exploiter plutôt qu'aider à développer et se retrouve aujourd'hui confronté au produit de son œuvre.
[1] Bulletin de la Banque de France 246/5, mais-juin 2023. ICI
[2] Direction générale du Trésor, 22 septembre 2022. ICI
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