La Chine, véritable cible des Occidentaux !

Les trente-deux pays de l'Otan, réunis à Washington les 10 et 11 juillet ont donc lâché le morceau. En présentant la Chine comme jouant "un rôle déterminant dans la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine", les Occidentaux lui adressent une déclaration de guerre à peine voilée. Car bien évidemment, la Russie n'est qu'une étape [1] dans une guerre qui, longtemps, s'est dite froide, sauf pour les États-Unis et leurs alliés. Faire tomber la Russie, objectif avoué de la guerre lancée en Ukraine, aurait comme effet secondaire de fragiliser la coquille derrière laquelle la Chine se protège.

Longtemps, le dispositif américain d'encerclement de la Chine – cet empêcheur de régner en maître absolu sur le monde – reposait sur les deux puissantes bases entretenues aux Philippines : Subic pour l'armada de la VIIe flotte et Clark, pour les escadrilles de la 2e armée aérienne. À ces infrastructures s'ajoutaient les troupes au sol déployées en Corée (60.000 hommes) et au Japon (50.000 hommes) ; une présence que Washington justifie par la "menace" nord-coréenne. De Diego Garcia, dans l'océan indien, à Guam, dans le Pacifique, Washington non seulement entend tout ce qui se dit dans cette moitié du globe, mais les États-Unis peut intervenir en Extrême-Orient, partout où ils le veut.

Lorsqu'en 1991, sous la pression, Cory Aquino décida de ne pas reconduire les baux de Subic et Clark, l'Administration américaine chercha une alternative et jeta son dévolu sur la base de Gangjeong, idéalement située sur la petite île touristique de Jeju, au sud de la Corée… à moins de 600 kilomètres des côtes chinoises et de Shanghai, la capitale économique de l'Empire du milieu [2].

Les Américains s'en étaient ouverts dès le début des années 90's au général Roh Tae-woo, le locataire de la Maison bleue (la présidence de Corée), puis à son successeur : Kim Young-sam. Le projet a été long à murir car, s'il était inenvisageable que les dirigeants coréens rejettent la demande du grand-frère, ils devaient composer avec l'hostilité d'une majorité de la population réfractaire à toute présence militaire étrangère en général et américaine en particulier  ! Il faut les comprendre. Au-delà du nationalisme légendaire des Coréens : faire trempette dans les eaux du petit paradis touristique qu'est Jeju, entre un porte-avion et son escorte à bâbord et un sous-marin nucléaire sur tribord… Non !

Par souci de discrétion, la base n'a pas été entourée d'une nuée de bordels, qui fleurissent habituellement partout où une armée plante le camp : ah Manille ! Ah Bangkok ! Ah Saïgon ! La base de Gangjeong, totalement opérationnelle depuis une dizaine d'années n'est pas pour autant, comme la population coréenne le craignait, réservée à leur armée. En juillet 2023, l'Annapolis, sous-marin nucléaire de la Navy venait y faire escale, quelques jours seulement après que le Kentucky, autre submersible nucléaire, soit venu relâcher dans le port de Busan [3]. Le flanc est de la Chine est parfaitement verrouillé [4]. 

Le sous-marin Annapolis

Les États-Unis – qui n'ont jamais d'autre solution à proposer pour régler les conflits, que la guerre – ont une revanche à prendre avec la Chine. Dans les années 50's, les armées de Mao étaient intervenues aux côtés de Kim Il-sung, après l'échec du Grand leader génial de la République Démocratique de Corée, dans sa tentative de reconquérir le sud de la péninsule, annexée par les États-Unis à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. Comme au Viêt-nam, vingt ans plus tard, l'armée américaine qui entendait profiter de ce conflit pour écraser le régime communiste de Pyongyang, sera obligée de revenir en-dessous du 38e parallèle.

Les mises en garde adressées à la Chine par l'Otan, les 10 et 11 juillet, signifient-elles que les Occidentaux se sentent aujourd'hui suffisamment forts pour porter l'estocade contre la Russie sur le front ukrainien. Cela fait des décennies que la propagande américaine et ses relais européens nous promettent le feu dans le détroit de Formose et sur le 38e parallèle ; les opinions publiques sont très bien préparées et il ne fait plus aucun doute pour elles que la Chine constitue le plus grand danger – bien plus grand que la Russie. La Chine est dangereuse idéologiquement, financièrement, économiquement, commercialement, culturellement et même sportivement !

La perspective d'un double front : russo-ukrainien, à l'ouest, et en mer de Chine méridionale, à l'est, colle assez bien avec l'analyse publiée par L'Humanité, il y a dix-huit mois. En février 2023, le quotidien ex-communiste n'hésitait pas à rapporter les propos du général Michael Minihan : «“J’espère que je me trompe. Mon instinct me dit que nous allons nous battre en 2025”, exhortant ses troupes à se tenir “prêtes à combattre et à gagner la première chaîne d’îles”, vitales pour l’accès maritime de la Chine au Pacifique… » Et le quotidien d'ajouter : « Pour mémoire, l’amiral de la marine Phil Davidson assurait, il y a deux ans devant le Congrès, que 2025 pourrait être propice à l’attaque, Taipei et Washington tenant tous deux leur présidentielle en 2024. » [5] Après avoir lu le papier de L'Huma, Emmanuel Macron  annonçait une augmentation de 33% du budget des armées pour la période 2024-2030 (416 milliards d'euros) [6].

C'est dans ce contexte qu'il faut entendre les propos du président Xi Jinping pour justifier la priorité donnée à la sécurité nationale, rapportés par Le Monde, à l'issue du Plenum du Parti communiste chinois, qui se tenait mi juillet : « Des changements d’une magnitude jamais vue en un siècle s’accélèrent à travers le monde, les conflits régionaux et les troubles ne cessent d’émerger, les questions mondiales s’aggravent, tandis que s’accroissent les tentatives extérieures d’endiguer la Chine » [7].

Nous allons donc être vite fixés : 2025, c'est demain !


[1] Voir la note publiée ici même, le 16 mars 2024. Sur le sommet de l'Otan, la chronique de Pascal Boniface sur Youtube n'est pas inintéressante non plus.
[2] Voir notamment Le Monde (05-06-2012) ; Reporterre (23-11-2017)
[3] Voir Yonhap (24-07-2023)
[4] Voir entre autres : Corentin Brustlein (Politique étrangère, 2013/2) ; Rupert Wingfield-Hayes (BBC News 06-02-2023) Baptiste Galais-Marsac (Le Vent se lève, 10-09-2023).
[5] L'Humanité, 02-02-2023.
[6] Libération, 20-01-2023.
[7] Le Monde, 24-07-2024.

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