Charles Palant et les "Malheureux crétins"
C'est bien connu : «Le temps qui efface tout, n'efface pas le souvenir.» Maman avait fait graver dans le marbre cette pensée et l'avait déposée sur la tombe de Papa. Il y a des flashs comme ça !
Je revois encore Charles Palant debout sur le balcon du deuxième étage du 120 rue Saint-Denis à Paris. L'appartement, qui abritait le siège du Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et pour la Paix (le Mrap) avait été en partie soufflé par une explosion, deux jours plus tôt ; attentat revendiqué par un obscur "groupe peiper" qui ne mérite même pas une majuscule. C'était à l'été 1977, joachim peiper avait été abattu quelques semaines plus tôt, à Traves en Bourgogne, où il coulait depuis 1972 une retraite paisible. Ancien officier SS, peiper avait été condamné à mort, en 1946 ; peine commuée en trente-cinq années de détention. Il avait finalement été libéré au bout de dix ans, en 1956.
Charles Palant, debout sur le balcon du Mrap, le regard grave, écoutait Albert Lévy qui lui avait succédé au secrétariat général de l'organisation antiraciste. Lévy parlait bien, certes, mais sa voix a toujours manqué d'émotion ; Albert était avant tout un «politique». Charles, devenu vice-président du Mrap, lui succéda au micro et de sa voix puissante rappela qui était peiper et les horreurs ineffaçables que les nazis laissaient dans leur sillage. Et Palant de les qualifier de "malheureux crétins". La formule, dans le bouche de cette homme au langage châtié, toujours tiré quatre-épingle me surpris. Quand il le fallait donc, Palant me le prouvait, l'on pouvait appeler un chat un chat.
Dans un livre de mémoires, recueillies par Karine Mauvilly-Graton, Charles Palant raconte sa vie et ses combats. Né à Belleville en 1922 de parents juifs, entré en résistance dès le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, arrêté à Lyon en 1943, il se retrouve à Auschwitz, puis Buchenwald où il adhère au Parti communiste. Retour en France via Hayange, point de passage obligé des déportés ; ma mère, née dans cette petite ville de Lorraine, a alors 20 ans et participe avec sa sœur à leur accueil.
Rentré à Paris, Palant reprend son combat là où il l'avait laissé et, avec d'autres, fonde le Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et pour la paix (Mrap), qui deviendra en 1979 (et non pas en 1969 comme écrit dans le livre) le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples. Palant est un vrai conteur, son récit est palpitant, émouvant, bouleversant. Quant il se lance dans une analyse, il devient percutant. Charles Palant crois au matin, c'est le titre du livre ; il ne crois pas au grand soir.
Dès ses premiers engagements, il mesure l'importance de la solidarité du groupe et s'insurge dès que l'individu tente de prendre l'ascendant. Cela fait de lui un roc sur lequel les autres peuvent s'appuyer. Les problèmes sont rarement individuels et la solution bien souvent collective. La lutte contre le racisme ne pouvait pas se limiter à l'antisémitisme et n'être qu'une histoire de juif, pas même de juifs, d'Arabes et de noirs. Le racisme est un des moyens utilisés par les oppresseurs (ou les exploiteurs) pour diviser les opprimés (ou les exploités). Comme il en fera l'expérience : le nazisme fut une vaste entreprise de mise en esclavage d'une population, sur la base de critères raciaux, au service de conglomérats industriels. L'émancipation des hommes repose sur des rapports sociaux qu'il n'hésite pas à qualifier de lutte de classes.
Le Mrap ne pouvait pas se limiter à une amicale d'anciens combattants, fussent-ils d'anciens déportés. Il n'a jamais été si fort que dans les années 70s et 80s, lorsqu'il s'est ouvert à une population qui n'était pas directement victime du racisme ; son influence s'est effondrée dès lors qu'il a été repris en main. Les dirigeants du Mrap avaient entre temps oublié que si la qualité de l'individu fait la force du groupe… sans le groupe, ils ne sont rien. Malheureusement, la mémoire de Charles Palant n'a retenu que les noms de ses compagnons d'infortune. Ceci explique sûrement, au moins en partie, le déclin du Mrap.
La disparition de cette sentinelle – et des autres, soyons honnêtes, car aucune de ces organisations de masse, politique ou syndicale, n'a survécu à l'abandon de cette valeur fondamentale – a laissé le champ libre aux agitateurs d'idées nauséabondes qui se retrouvent aujourd'hui au pouvoir.
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Je crois au matin, de Charles Palant (420 pages, Éditions Le Manuscrit, 2009)
Charles Palant s'est éteint le 26 février 2016, à l'âge de 93 ans.
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