Mon Producteur, de Thierry Clech

Mon Producteur. J'étais curieux de savoir ce qui se cachait derrière un titre aussi mauvais ! Autant le dire tout de suite, je n'ai pas été déçu, me suis même régalé. Le livre, écrit à chaud, ou plutôt à froid, retrace une partie de la vie de Thierry de Ganay, à travers la collaboration entre ce producteur de cinéma et Thierry Clech qu'il employa comme scénariste sur plusieurs projets. C'est donc le récit intimiste d'une relation, entrepris au lendemain de la mort de Ganay, dont on sent assez vite qu'elle déborde du cadre professionnel. Il y a Thierry et Thierry, comme il y eut Dupond et Dupont…

Les deux hommes se fréquentent pendant une quinzaine d'années. Clech n'a pas une grande passion pour le cinéma, mais quand même, il a fait ses classes aux Cahiers – ce n'est donc pas n'importe qui… Pour ceux qui ne le savent pas, Les Cahiers du cinéma furent le vivier qui accoucha de la Nouvelle Vague, ce courant des années soixante porté par les Godard, Truffaut, Varda, Rohmer, Chabrol… Les Cahiers sont sacrés. Il y a même un "style" Cahiers – phrases longues entrecoupées de multiples digressions auquel le livre de Clech n'échappe pas. Ça lui donne d'autant plus de charme que l'on comprend que l'auteur s'en amuse.

Ganay confie à Clech la scénarisation d'un bestseller de Mildred Davis publié en 1948 [1] et dont Catherine Deneuve, qui reconnaissait dans cette histoire un peu de la sienne et de sa sœur, Françoise Dorléac, acquerra les droits. La Chambre du haut constitue la seconde trame du récit de Clech, texte qu'il serait capable de réciter tant il l'a remis sur l'établi : plus de cent fois, peut-être même cinq cents, écrit-il, en tout cas plus près de 500 que de 100. Au gré des changements de réalisateur présumé pour tourner l'œuvre, Clech reprend la sienne pour l'ajuster aux desiderata du nouveau maestro. Ça va durer comme ça… quinze ans et, pour finir, le film ne sera jamais porté à l'écran ! Si vous pensiez que votre talent suffirait à vous ouvrir les portes d'Hollywood, comme auteur ou réalisateur, l'ouvrage de Thierry Clech, truffé d'anecdotes, risque fort de doucher vos ardeurs.  

Quelque chose lie Ganay à Clech, au-delà du cinéma – et si l'on ne saura jamais ce qui poussa Ganay dans cette histoire avec Clech, on a le sentiment que Clech y a trouvé la porte de sortie d'une impasse intime. Clech a pu traiter Ganay de connard autant de fois qu'il l'a voulu ou autant de fois qu'il a pensé que Ganay le cherchait – et l'on sent comme une jouissance non dissimulée lorsqu'il le rapporte –, alors qu'il ne l'a fait qu'une fois avec son propre père… avant de, dare-dare, lui raccrocher au nez.  

Mon Producteur (vraiment, quel titre à chier !) s'éloigne vite du récit et de son sujet (Ganay) pour se concentrer sur son auteur (Clech) ; le premier servant de révélateur au second, pour reprendre une métaphore photographique fort à propos. Et c'est ce qui fait littérature. Il y avait sûrement de ce rapport de filiation, entre les deux hommes pour que Clech se retrouve aux obsèques du premier, surpris de voir ses larmes couler. Avec la mort de Ganay, Clech peut enfin passer à autre chose. À la photographie par exemple. Pourquoi pas ! Il photographie depuis le monde. Je suis sûr qu'il pense à Ganay, chaque fois qu'il entend le doux bruit du déclencheur de son Leica lorsqu'il fait clic-clech.

Bonne lecture.  

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[1] La Chambre du haut de Mildred Davis est paru en français chez Gallimard dans la collection Série Noire
Mon Producteur, de Thierry Clech (L'Incertain, 2025).

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