La culture du low cost

L'affaire est pliée ! Le débat clos ! La marchandise pesée !

Il aura fallu quarante ans pour que le Low Cost et ce qu'il charrie s'impose comme la norme. Tout avait commencé, comme toujours, par une bonne intention. Peu après son élection à la présidence de la République et pour s'affirmer en homme de gauche (ce qui était loin d'être évident quand on arrive comme lui de Vichy), François Mitterrand avait décidé de soutenir la réinsertion sur le marché du travail de jeunes en rupture. Ce n'est pas Pierre Mauroy, son Premier ministre socialiste, mais son successeur, l'énarchiste Laurent Fabius qui mettra en place les Travaux d'utilités collectives, les fameux TUC, ancêtre des "emplois aidés" (contrats de qualification, puis de professionnalisation…).

Outre qu'ils réserveront à ceux qui en bénéficièrent une désagréable surprise en fin de carrière (ils ne rentreront pas dans le calcul des retraites) les TUC auront surtout aidé à supprimer les grilles des rémunérations et à aligner les salaires sur un tarif plancher – le Smic. Les "emplois aidés" offrirent aux entreprises de la main-d'œuvre pas cher, renouvelable indéfiniment, et accouchèrent vite des stages obligatoires : un travail dissimulé destiné aux universitaires "indemnisés" eux pendant des mois à hauteur d'un demi-Smic, quand ce n'est pas un tiers, avant d'être remplacés par d'autres "stagiaires"… Conséquence de cette précarisation généralisée : alors que, dans les années 70s, nous dit Erwann Tison*, citant Antoine Foucher**, on pouvait doubler son salaire tous les dix ans, il faudrait aujourd'hui quatre-vingts ans pour se faire. En d'autres termes, celui qui démarrera en bas de l'échelle y restera !

 
Le même phénomène se répète partout où le Low Cost s'insinue. Le transport aérien en est la caricature. Finis les vols de rêves vantés par les pub des années soixante ! Les hôtesses glamour, les boissons servies à volonté entre deux repas servis avec le sourire ! Nous ne sommes même plus dans l'esprit "charter" des années 70s et 80s. Désormais : régime Ryanair pour tout le monde et lorsque vous faites le compte… une fois payé le billet + le siège + le bagage cabine et éventuellement le bagage en soute… et le taxi car pour enregistrer sur un vol au départ à 6 h ou 7 h du mat, ne comptez pas sur les transports publics, vous arrivez au même prix que l'offre du transporteur national qui, entre-temps, se sera aligné sur le service de la compagnie irlandaise. Les passagers s'arrachent les cheveux pour tout faire rentrer dans une valise 40 x 30 x 20 tandis que les transporteurs se frottent les mains. Et que dire d'Uber !

Tantôt, sur un groupe fesse-plouc, un margoulin proposait ses services de mécano Low Cost
 

 
Momo-le-mécano répare, mais à vous d'aller chercher vos pièces. Tous les ploucs du réseau ont trouvé la proposition géniâle ! En voilà un mec qui pense. un mec qui sait s'adapter à son époque. Qui sait évoluer avec son temps… Vraiment ? Demain, un restaurateur vous proposera peut-être de venir avec votre bouffe… il vous la fera juste (ré)chauffer, ce sera moins cher. Ô géniââl ! Bah, on le fait bien avec le vin, contre un droit de bouchon. 

Prenons la vidange à 25 € de Momo-le-mécano. Si vous devez acheter le filtre : + 10 € et l'huile : +35 €, la vidange l'opération vous coûtera au bas mot 70 € plus le temps que vous consacrerez à faire les courses et vous débarrasser de la vieille huile. Est-ce vraiment moins cher ? Nord Auto vous propose le même travail… pour 50 €

L'offre de Momo-le-mécano rendra-t-elle les étudiants moins pauvre ? Non plus ! Finalement, seul notre margoulin y trouvera son compte. Et encore ! À massacrer les prix, que lui restera-t-il ? Sur les 25 € qu'il aura encaissés, 6 € iront à l'Urssaf et 3 € dans l'essence qu'il aura consommé pour se rendre chez le client. La vidange lui aura rapporté 16 € hors amortissement de son véhicule et de son outillage. En réalité, s'il lui reste 10 € avant impôt, il pourra s'estimer heureux. Il va falloir en rincer des carters pour payer deux semaines de vacances sur la côte à la famille, l'été prochain !

Cela fait pourtant plus de cinquante ans que la recherche du moindre coût, a ruiné les consommateurs tout en enrichi une minorité qui a su jouer de la mondialisation pour convertir en profits les réductions de coûts et les gains de productivité ! Mais cela ne suffit pas pour en tirer une leçon pourtant simple : il n'y a de sortie – en économie comme dans le reste – que par le haut ! 

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* Erwann Tison, diplômé de la Faculté des Sciences économiques de Strasbourg, est directeur des études de l'Institut Sapiens
** Antoine Foucher, spécialiste des questions sociales, fut directeur de cabinet de Muriel Pénicaud, ministre du Travail (2017-2020). Il dirige désormais le cabinet Quintet. Il est notamment l'auteur de Sortir du travail qui ne paie plus (Éditions de L'Aube, 2024). On peut lire un résumé de son analyse ICI.

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