Mort aux vaches
L’abattage systématique des bovins vient jeter une lumière crue sur la perte de notre bon sens, de notre capacité de discernement et par-delà de notre aptitude au dialogue. Ce ne sont pas les vaches qui sont folles, mais bien les hommes, décidés aujourd’hui à tirer sur tout ce qui bouge.
Dans l’océan de propagande qui fait désormais office d’information, surnage quelques faits :
• La dermatose nodulaire (DNC) se transmet d’un animal à l’autre par l’intermédiaire des moustiques, des mouches et autres taons qui se nourrissent du sang des vaches.
• Son taux de morbidité se situe entre 10 et 20 %, celui de mortalité est généralement très faible : 1 à 5 % selon l’OMS
En résumé : ce n’est ni la peste ni le choléra et elle est sans danger pour l’homme.
Alors pourquoi éliminer des troupeaux entiers de plusieurs dizaines, voire centaines, de bêtes alors qu’il suffirait d’abattre uniquement celles, peu nombreuses infectées ?
• Parce qu’il s’agit d’une directive européenne. Pour Bruxelles, face à des « maladies normalement absente de l’Union européenne », classées A, une seule solution : « éradication immédiate ».
La radicalité de la mesure, sa disproportion se heurte à l’incompréhension des éleveurs qui ne manquent pas d’arguments. D’autant que, contrairement à ce qu’avance Arnaud Rousseau, le patron de la FNSEA : il n’y a pas de consensus scientifique pour proposer l’abattage systématique de tout un troupeau dès lors qu’une bête est diagnostiquée positive à la DNC.
D’ailleurs, personne n’est dupe : la vaccination préventive préconisée par les pouvoirs publics ne garantit pas l’immunisation du bétail. Seuls quelques utopistes peuvent encore se croire plus fort que la nature, plus malin qu’un virus invisible. L’épisode Covid n’a pas réussi à les convaincre du ridicule d’une telle posture.
Alors pourquoi « abattre », « éradiquer ». Pour mettre la main sur les terres des éleveurs, comme le suppose Charles Gave ? Parce qu’il y a plus de profits à réaliser en important, comme le suggèrent d’autres ? Une chose est sûre : la stratégie européenne adoptée par la France avec l’appui de la FNSEA va ruiner le travail de sélection entrepris sur plusieurs générations pour obtenir les bêtes particulièrement performantes. Le bétail français est reconnu comme l’un des meilleurs du point de vue génétique.
Une autre réalité se profile : la viande qui ne sera pas produite en France sera importée… des pays du Mercosur notamment, où l’on ne s’embarrasse pas de normes sanitaires, ce qui rend les carcasses encore moins cher (mais pas le steak sur l’étal du boucher du village, au fin fond de l’Ariège)
En voilà une affaire qu’elle est bonne pour Arnaud Rousseau qui, outre la puissante FNSEA, dirige le groupe Avril, acteur majeur de la filière bovine… brésilienne. On comprend mieux qu’il soit favorable à l’abattage du cheptel français.
Malgré les appels à l’aide de ces éleveurs, la classe politique est restée muette. Pas un de ses leaders, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche en passant par les non-inscrits, ne s’est levé pour dire : « Arrêtez le massacre » et proposer d’autres solutions, même juste une. Leur silence signifie-t-il leur accord, comme le prétend l’adage ? Il reflète au moins l'abêtissement général, le sacre du crétin mis au point avec précision depuis plusieurs décennies comme le rappelait fort à propos, il y a vingt ans déjà, Jean-Paul Brighelli dans un ouvrage au titre sans appel [1].
On ne peut plus s’attendre à un renversement de situation. Il faudrait pour cela une prise de conscience globale, à commencer dans les rangs de la force publique – on ne peut décemment plus parler de force de sécurité ni de maintien de l’ordre – (police, gendarmerie). Mais en entendant les propos qu’ils s’échangent sur leur terrain de guerre, on se dit que ce n’est pas gagné.
Sainte Soline, mars 2023
(images de la gendarmerie rendues publiques par Médiapart)
À quel degré de conditionnement sont-ils soumis pour jouir d'infliger gratuitement tant de violence ?
Et puis rien ne serait possible non plus sans l’adhésion tacite d’une majorité, qui dépasse de loin cette servitude volontaire dont parlait La Boétie, et relève avant toute chose de la soumission à l’autorité à laquelle travaillent sans relâche les dirigeants, toutes tendances confondues, ce qui explique mieux leur silence sur le massacre du bétail.
Depuis le début des années 60, cette soumission fait l’objet d’études. Stanley Milgram, en 1963, avait évalué cette soumission aux alentours de 63 % de la population. Deux tiers des individus sont prêts à exécuter un ordre dès lors qu’il leur a été donné par une personne à laquelle ils reconnaissent une autorité. Cinquante ans plus tard, une équipe française avait renouvelé l’opération pour aboutir à une soumission de l’ordre de 80 % de la population [j’ai abordé le sujet ailleurs 2]. Plus rien ne s’oppose au pouvoir. Il peut imposer ce qu’il veut. Le débat sur le totalitarisme est caduc. L'immense majorité n'en a plus rien à faire, toutes ces questions l'ennuient. La seule chose qui compte, c'est ce qui lui est vendu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale comme le summum de la liberté : un petit chez soi à soi, hermétique à toute idée étrangère (nécessairement subversive dans la mesure où elle pourrait faire réfléchir). Les Français sont des veaux disait le général De Gaulle. Ils ont grandi, ce sont devenus des vaches à lait.
_____________________________
[1] La Fabrique du crétin, de Jean-Paul Brighelli (Jean-Claude Gawsewitch, 2005)
[2] Les Franquignols, de Marc Mangin (Sipayat, 2021)


Commentaires
Enregistrer un commentaire